Connaissez-vous cette espèce fascinante qui peuple nos open spaces ? Le Fumogenus Corporatus, communément appelé « l’enfumeur professionnel », maître dans l’art de noyer le poisson quand il s’agit d’esquiver ses responsabilités.
Ses techniques favorites
La diversion technique
Quand on lui parle d’un bug non résolu depuis trois mois, notre spécimen répond invariablement : « Ah non, c’est plus complexe que ça. En fait, c’est lié à un conflit de versions dans la couche d’abstraction qui impacte le traitement asynchrone des requêtes. On a un problème de race condition quand le load balancer dispatche vers le mauvais node. Je suis en train de refactorer tout ça mais ça demande pas mal de tests d’intégration… » Personne ne comprend, c’est exactement le but.
L’email fantôme
« Ah bizarre, tu n’as pas reçu ma réponse ? Je l’ai envoyée jeudi dernier à 15h47 précisément. Attends… [tape frénétiquement sur son clavier] Ah, je vois ce qui s’est passé. On a eu une latence sur le serveur Exchange qui a causé un split brain avec le serveur de backup. Le dernier rapport d’incident Azure montre que c’est arrivé à pas mal de boîtes. D’ailleurs… [ouvre 15 onglets de monitoring] Regarde, on voit clairement le pic d’erreurs SMTP… Non ? Tu ne vois pas ? Bon, je te renvoie ça tout de suite, cette fois en copiant le support IT en CC pour tracer le problème… »
La réunionite aigüe
Le champion de l’enfumage excelle dans l’art de programmer des réunions pour parler des réunions précédentes qui parlaient déjà des futures réunions. Sa technique préférée ? « Il nous faut un comité de pilotage hebdomadaire pour suivre l’avancement du bug. Mais avant, programmons un pré-comité pour définir le cadrage. Et bien sûr, une réunion de synchronisation post-comité. » Quand l’échéance devient vraiment pressante, il dégaine son arme ultime : la réunion de crise. « Je propose qu’on mette en place une task force transverse avec des points quotidiens à 9h pour optimiser nos process. Je prépare un Powerpoint de 48 slides pour présenter la méthodologie. »
La contre-attaque préventive
Notre spécimen est passé maître dans l’art de rediriger les responsabilités : « En fait, ce bug est apparu juste après le déploiement du microservice de Pierre. J’ai regardé les logs, il y a clairement une corrélation avec leurs changements d’API. D’ailleurs, j’ai documenté ça dans un ticket Jira… que je ne retrouve plus. Mais je peux vous montrer les métriques Grafana qui prouvent que les erreurs ont commencé exactement à ce moment-là. »
Son habitat naturel
On l’observe principalement près de la machine à café, son territoire de prédilection pour déployer ses talents narratifs : « Sur mon dernier projet chez Goldman Sachs – je peux pas trop en parler, c’est confidentiel – j’ai sauvé leur infrastructure cloud en une nuit. Le CTO m’a personnellement remercié. » Mais son véritable chef-d’œuvre reste Slack, où il excelle dans l’art du message fleuve : trois paragraphes de contexte historique, deux citations de blogs tech obscurs, une référence à un design pattern pointu, et toujours zéro réponse à la question « Pourquoi le bouton ‘Valider’ ne marche pas ? ».
Son cri caractéristique
Le spécimen possède un vaste répertoire vocal, soigneusement affiné pour gagner du temps : « C’est dans les tuyaux » (traduction : je n’ai pas commencé), « Je suis à fond dessus » (comprendre : je viens de voir ton message), « On est sur la dernière ligne droite » (j’ai ouvert le fichier), et le légendaire « Il faut qu’on pose ça en Comité » (rendez-vous dans 3 mois).
Son ultime technique vocale : le « laisse-moi te montrer un truc », suivi d’une démo de 45 minutes sur une fonctionnalité complètement hors sujet qu’il a développée pendant ses heures de procrastination.
Si vous croisez un enfumeur dans son habitat naturel, admirez son talent d’improvisation digne des plus grands dramaturges. Sa capacité à transformer un simple « C’est pour quand le correctif ? » en une conférence TED de 20 minutes sur les paradigmes de programmation modernes mérite presque une standing ovation. Certains sont si doués qu’on se demande pourquoi ils ne sont pas sur les planches – leur monologue sur « l’impact systémique des dépendances transitives » arracherait des larmes à Molière.
Pendant ce temps, quelque part dans votre base de données, les bugs organisent tranquillement leur assemblée générale, certains d’avoir encore de beaux jours devant eux.