Moussa 2.0 : Chroniques d’un marabout digital

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Dans une échoppe coincée entre un cybercafé et un vendeur de téléphones, Moussa Ndiaye ajuste son grand boubou coloré avant d’accueillir sa prochaine cliente. Une pancarte peinte à la main annonce fièrement : « Marabout Moussa – Désenvoûtement d’Ordinateurs – Guérison des Virus – Protection Anti-Hacking ».

« Entrez, madame, entrez, » lance-t-il d’une voix chaleureuse à une femme d’affaires visiblement stressée qui serre contre elle un ordinateur portable. « Je sens déjà les djinns qui ont élu domicile dans votre machine. »

Moussa n’a pas toujours été marabout-informaticien. Ancien étudiant en informatique à Dakar revenu au pays avec un diplôme mais sans emploi, il a fusionné les connaissances ancestrales héritées de son grand-père marabout avec sa passion pour le code. Une combinaison qui, contre toute attente, a transformé son quartier en lieu de pèlerinage technologique.

« Voyez-vous, » explique-t-il en passant une queue de margouillat séchée au-dessus de l’ordinateur, « votre Dell est possédé par un djinn très puissant. Pas étonnant qu’il refuse de démarrer! »

La cliente, directrice d’une ONG locale normalement cartésienne, hoche la tête avec gravité. Après avoir essayé trois réparateurs conventionnels sans succès, pourquoi ne pas tenter l’approche mystique?

Moussa installe l’ordinateur au centre d’un cercle tracé avec de la poudre ocre. Autour, il dispose sept cauris et trois clés USB enveloppées dans des bandes de tissu wax multicolore. Il allume de l’encens pendant qu’il récite des formules qui mélangent habilement prières traditionnelles et termes techniques.

« Par Ctrl+Alt+Supprême, je te convoque! Esprit du disque dur, montre-toi! Debug, debug, debug! »

Pendant que la cliente est fascinée par le spectacle, Moussa connecte discrètement un disque de récupération et lance quelques diagnostics standards. Ses doigts alternent entre tapotements mystiques sur la table et frappes expertes sur le clavier.

« Les djinns sont tenaces aujourd’hui, » marmonne-t-il en fronçant les sourcils. « Je vais devoir utiliser… LA POUDRE DE GRIGRI SYSTÈME! »

Il saupoudre quelques grains d’une mixture (essentiellement de la poudre de talc parfumée au gingembre) sur les touches tout en exécutant un programme de réparation de fichiers système.

« Écoutez! Les esprits me parlent, » s’exclame-t-il soudainement. « Ils disent que vous avez cliqué sur un email dangereux venant d’un prince étranger! »

La cliente rougit légèrement. « C’est… possible. »

Une heure et plusieurs incantations plus tard, l’ordinateur fonctionne à nouveau. Un simple malware, résolu par des outils de nettoyage standards – mais présentés comme le résultat d’un combat épique contre le « Grand Serpent du Web Profond ».

« J’ai chassé les mauvais esprits de votre disque, » annonce Moussa en s’essuyant théâtralement le front. « Mais pour qu’ils ne reviennent pas, vous devrez respecter ces consignes. » Il lui tend un petit sachet contenant une clé USB (« protégée par mes prières ») sur laquelle il a simplement installé un antivirus et des instructions de sécurité informatique de base.

« Également, n’ouvrez jamais d’emails le vendredi après la prière. C’est à ce moment que les djinns du spam sont les plus puissants. »

La cliente, soulagée, sort son portefeuille. « Combien je vous dois, Moussa? »

« Les ancêtres suggèrent 40 000 francs CFA, » répond-il avec un sourire énigmatique. « Mais pour vous, 35 000. Orange Money accepté – les esprits du téléphone sont mes alliés. »

Une fois la cliente partie, Moussa retire sa collection de grigris numériques (principalement des composants d’ordinateurs décorés) et se verse un verre de bissap. Sur son bureau, un manuel avancé de cybersécurité côtoie un vieux grimoire de son grand-père et « L’Entrepreneuriat en Afrique : Nouvelles Perspectives ».

Dans son téléphone, la liste des rendez-vous ne désemplit pas. Des fonctionnaires, des commerçants, même le directeur de la banque locale – tous viennent consulter celui qu’on surnomme désormais « Le Sorcier du Système ».

« Demain, » murmure-t-il en consultant son agenda, « je reçois le député dont le compte Facebook a été ‘envoûté’. Je pense que l’exorcisme impliquera de changer son mot de passe et d’activer l’authentification à deux facteurs… mais je lui dirai que j’ai dû négocier avec l’esprit ancestral de Mark Zuckerberg en personne. »

Et tandis qu’il range ses talismans (dont certains cachent astucieusement des clés USB de diagnostic), Moussa sourit. À l’intersection de la tradition et de la technologie, il a trouvé sa voie. Après tout, quand l’écran bleu de la mort frappe, un peu de magie traditionnelle associée à de solides connaissances techniques peut faire des miracles – même si le vrai miracle est peut-être simplement de transformer la peur de la technologie en quelque chose de familier et de compréhensible.

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